(Enquêtes
de G. Détrez, G. Gleizes, J. Remondelli. Photos J.-M. Viala, J. Remondelli, C.
Sarazin, L. Ringot. Adaptation W. Henneau). | M.
Emile Piéton, employé aux Bureaux Centraux d'Aniche (Groupe de Douai) :
« En 1942, j'étais en captivité avec quatre ou cinq cents prisonniers, au commando
de Iba, près de Cassel. Avec quelques camarades, on avait formé un petit orchestre
pour animer les après-midi du dimanche. Et à l'occasion de la Noël, on avait demandé
à l'adjudant du camp la permission d'organiser une fête. Mais le sous-officier
allemand n'accepta tout d'abord qu'à une condition : il fallait en échange qu'on
aille ce jour-là donner un « concert » pour les habitants du village voisin. Finalement
on n'obtint jamais l'autorisation d'organiser notre fête. |
|
Mais l'idée du « concert » intéressait particulièrement le maire du village, qui
revint à la charge, et l'adjudant nous fit une autre proposition : les musiciens
iraient jouer au village, et tous les prisonniers recevraient chacun en échange...
deux ou trois pommes de terre. Vous comprenez facilement que le marché nous tentait,
nous qui mourrions de faim. A la pointe du jour donc, par des chemins enneigés,
on se rendit sur le plateau qui dominait le village, chaussettes russes aux pieds.
| On
joua tout d'abord, du haut de la colline, un chant de Noël connu dans le monde
entier : « Douce nuit ». L'écho nous ramena les premières mesures : la musique
nous paraissait embellie, elle semblait nous revenir avec un petit quelque chose
de plus. Bien que paralysés par le froid - il faisait là-bas un « froid de canard
» - on accomplit quand même notre « mission » jusqu'au bout. Mais je me souviendrai
toujours des dernières minutes qui me parurent une éternité, mes doigts gourds
appuyant avec beaucoup de difficulté sur les pistons du saxophone, durcis par
le gel. A notre retour au camp, on fut, vous pouvez l'imaginer, chaleureusement
accueilli par nos camarades, qui nous avaient préparé du café chaud, et qui avaient
amélioré leur « ordinaire » ...parce que nous avions accepté de troquer « notre
» musique contre des Kartoffeln ». |
|
|