Lors
de la révolution industrielle, la plus grande partie de la main d'oeuvre
provenait des campagnes. Une série de Cinq poèmes d'Emile Verhaeren,
véritable document historique, relate l'origine, l'exode, les conditions
de cette première vague humaine à l'assaut des villes industrielles.
"Les Plaines" témoigne de l'état dramatique des
campagnes, comme celle du Hainaut, qui a poussé de nombreux paysans à
s'improviser mineurs dans les mines du Centre, du Borinage, des rives de l'Escaut,
de l'Ostrevant... |
Sous la tristesse et l'angoisse des cieux Les lieues S'en vont autour
des plaines ; Sous les cieux bas Dont les nuages traînent Immensément,
les lieues Se succèdent, là-bas. Droites sur des chaumes, les tours
; Et des gens las, par tas, Qui vont de bourg en bourg. Les gens vaguants
Comme la route, ils ont cent ans ; Ils vont de plaine en plaine, Depuis
toujours, à travers temps. Les précèdent ou bien les suivent Les charrettes
dont les convois dérivent Vers les hameaux et les venelles, Les charrettes
perpétuelles, Grinçant le lamentable cri, Le jour, la nuit, De leurs
essieux vers l'infini.
C'est la plaine, la plaine. Immensément, à perdre
haleine. De pauvres clos ourlés de haies Écartèlent leur sol couvert
de plaies. De pauvres clos, de pauvres fermes, Les portes lâches Et
les chaumes, comme des bâches, Que le vent troue à coups de hache. Aux
alentours, ni trèfle vert, ni luzerne rougie, Ni lin, ni blé, ni frondaisons,
ni germes ; Depuis longtemps, l'arbre, par la foudre cassé, Monte, devant
le seuil usé, Comme un malheur en effigie.
| C'est
la plaine, la plaine blême, Interminablement, toujours la même. Par
au-dessus, souvent, Rage si fort le vent Que l'on dirait le ciel fendu
Aux coups de boxe De l'équinoxe. Novembre hurle, ainsi qu'un loup
Au coin des bois, par le soir fou. Les ramilles et les feuilles gelées.
Passent giflées Sur les mares, dans les allées ; Et les grands bras
des Christs funèbres, Aux carrefours, dans les ténèbres, Semblent grandir
et tout à coup partir, En cris de peur, vers le soleil perdu. C'est
la plaine, la plaine Où ne vague que crainte et peine. Les rivières
stagnent ou sont taries, Les flots n'arrivent plus jusqu'aux prairies, Les
énormes digues de tourbe, Inutiles, tracent leur courbe ; Comme le sol,
les eaux sont mortes ; Parmi les îles, en escortes Vers la mer, où les
anses encor se mirent, Les haches et les marteaux voraces Dépècent les
carcasses Lamentables des vieux navires. C'est la plaine, la plaine
Sinistrement, a perdre haleine, C'est la plaine et sa démence Que
sillonnent des vols immenses De cormorans criant la mort A travers l'ombre
et la brume des Nords ; C'est la plaine, la plaine Mate et longue comme
la haine, La plaine et le pays sans fin Où le soleil est blanc comme la
faim, Où pourrit aux tournants du fleuve solitaire, Dans la vase, le coeur
antique de la terre. | |
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