Se
regardant avec les yeux cassés de leurs fenêtres Et se mirant dans l'eau de
poix et de salpêtre D'un canal droit, marquant sa barre à l'infini, Face
à face, le long des quais d'ombre et de nuit, Par à travers les faubourgs
lourds Et la misère en pleurs de ces faubourgs, Ronflent terriblement usines
et fabriques.
Rectangles de granit et monuments de briques, Et longs
murs noirs durant des lieues, Immensément, par les banlieues ; Et sur les
toits, dans le brouillard, aiguillonnées De fers et de paratonnerres, Les
cheminées. Se regardant de leurs yeux noirs et symétriques, Par la
banlieue, à l'infini, Ronflent le jour, la nuit, Les usines et les fabriques. Oh
les quartiers rouillés de pluie et leurs grand'rues ! Et les femmes et leurs
guenilles apparues Et les squares, où s'ouvre, en des caries De plâtras blanc
et de scories, Une flore pâle et pourrie.
Aux carrefours, porte ouverte,
les bars : Etains, cuivres, miroirs hagards, Dressoirs d'ébène et flacons
fols D'où luit l'alcool Et sa lueur vers les trottoirs. Et des pintes
qui tout à coup rayonnent, Sur le comptoir, en pyramides de couronnes ; Et
des gens soûls, debout, Dont les larges langues lapent, sans phrases, Les
ales d'or et le whisky, couleur topaze.
Par à travers les faubourgs lourds
Et la misère en pleurs de ces faubourgs, Et les troubles et mornes voisinages,
Et les haines s'entrecroisant de gens à gens Et de ménages à ménages,
Et le vol même entre indigents, Grondent, au fond des cours, toujours,
Les haletants battements sourds Des usines et des fabriques symétriques.
Ici, sous de grands toits où scintille le verre, La vapeur se condense
en force prisonnière : Des mâchoires d'acier mordent et fument ; De grands
marteaux monumentaux Broient des blocs d'or sur des enclumes, Et, dans
un coin, s'illuminent les fontes En brasiers tors et effrénés qu'on dompte.
| Là-bas,
les doigts méticuleux des métiers prestes, A bruits menus, à petits gestes,
Tissent des draps, avec des fils qui vibrent Légers et fins comme des
fibres. Des bandes de cuir transversales Courent de l'un à l'autre bout
des salles Et les volants larges et violents. Tournent, pareils aux ailes
dans le vent Des moulins fous, sous les rafales. Un jour de cour avare
et ras Frôle, par à travers les carreaux gras Et humides d'un soupirail,
Chaque travail. Automatiques et minutieux, Des ouvriers silencieux
Règlent le mouvement D'universel tictaquement Qui fermente de fièvre
et de folie Et déchiquette, avec ses dents d'entêtement, La parole humaine
abolie.
Plus loin, un vacarme tonnant de chocs Monte de l'ombre et
s'érige par blocs; Et, tout à coup, cassant l'élan des violences, Des
murs de bruit semblent tomber Et se taire, dans une mare de silence, Tandis
que les appels exacerbés Des sifflets crus et des signaux Hurlent soudain
vers les fanaux, Dressant leurs feux sauvages, En buissons d'or, vers
les nuages.
Et tout autour, ainsi qu'une ceinture, Là-bas, de nocturnes
architectures,
Voici les docks, les ports, les ponts, les phares Et
les gares folles de tintamarres ; Et plus lointains encor des toits d'autres
usines Et des cuves et des forges et des cuisines Formidables de naphte
et de résines Dont les meutes de feu et de lueurs grandies Mordent parfois
le ciel, à coups d'abois et d'incendies.
Au long du vieux canal à l'infini,
Par à travers l'immensité de la misère Des chemins noirs et des routes
de pierre, Les nuits, les jours, toujours, Ronflent les continus battements
sourds, Dans les faubourgs, Des fabriques et des usines symétriques.
L'aube s'essuie A leurs carrés de suie ; Midi et son soleil hagard Comme
un aveugle, errent par leurs brouillards ; Seul, quand au bout de la semaine,
au soir, La nuit se laisse en ses ténèbres choir, L'âpre effort s'interrompt,
mais demeure en arrêt, Comme un marteau sur une enclume, Et l'ombre, au
loin, parmi les carrefours, paraît De la brume d'or qui s'allume. |